La vague raciste qui frappe les Pays-Bas rencontre une certaine opposition

Avec son sourire, Wilders sait attiser aussi le racisme et la violence.
Avec son sourire, Wilders sait attiser aussi le racisme et la violence.
Les Pays-Bas connaissent en ce moment une vague de racisme, qui prend parfois des formes ouvertement violentes, lors d’actions et de mobilisations de rue, principalement contre des réfugiés et leur installation dans des centres d’accueil.(1) Des mobilisations de rue au caractère particulièrement intimidant ont eu lieu dans des villes ou des villages où des conseils municipaux devaient débattre pour savoir s’ils allaient ouvrir dans leur commune un centre de demandeurs d’asile ou un centre d’accueil d’urgence pour les réfugiés. Lorsque des réfugiés sont installés dans une maison ou un bâtiment, il arrive fréquemment que ces édifices soient l’objet d’actes de vandalisme. Pendant ce temps, les responsables de l’Etat évoquent la question des réfugiés d’une manière particulièrement néfaste: au lieu de les présenter comme des personnes essayant d’échapper aux horreurs de la guerre et aux persécutions, ils en parlent comme s’il s’agissait d’individus venus tenter l’aventure, trouver un emploi et jouir des avantages de la Sécurité sociale.

Traduit par Yves Coleman pour Ni patrie ni frontières
The original text in English

Combinant mobilisations de rues et agitation parlementaire, le politicien Geert Wilders est le dirigeant d’un parti qui est à la fois le plus petit et (dans un certain sens) le plus important du pays. Le plus petit, car le PVV ne dispose que d’un seul membre, Wilders lui-même. Le plus grand, parce qu’il attire davantage d’électeurs dans les sondages d’opinion que n’importe quel autre politicien. Et c’est son parti qui dicte les termes des débats, et pousse les partis politiques traditionnels à se rapprocher de plus en plus de la droite raciste. Il est très révélateur que, pour la seconde fois, Wilders ait été récemment choisi comme “L’homme politique de l’année” dans le cadre d’un sondage d’opinion très médiatisé dans les médias publics.

Manif contre les réfugiés
Manif contre les réfugiés

Wilders et son Parti de la liberté, le PVV, encouragent la population à prendre les réfugiés comme boucs émissaires de ses problèmes, et ils jouent un rôle absolument central dans ce qui se passe actuellement. Cet individu a commencé sa carrière au sein du VVD (un parti libéral de droite), organisation tantôt au pouvoir, tantôt dans l’opposition. Il l’a quitté parce qu’il était violemment opposé à l’admission de la Turquie dans l’Union européenne et en raison de son antipathie viscérale pour tous les musulmans. Il a alors capitalisé une forte popularité autour de sa personne, et plus tard de son parti, le PVV, en dénigrant constamment les musulmans et en menant des campagnes alarmistes contre les réfugiés. Il a avancé différentes propositions discriminatoires, comme une taxe visant les femmes portant le hijab ou l’interdiction de la construction de mosquées, ce qui lui a valu une grande célébrité pour ces infamies. Si son parti détenait 9 des 150 sièges à la Chambre des députés en 2006, il est passé à 24 sièges en 2010. Cette année-là, le VVD et le CDA chrétien-démocrate formèrent un gouvernement de coalition de droite. Le PVV de Wilders soutint du bout des lèvres ce gouvernement, mais il le prit en otage pour lui imposer une politique d’asile extrêmement restrictive. Lorsque ce gouvernement décida de procéder à des coupes budgétaires importantes, Wilders, craignant de perdre le soutien de ses électeurs parce qu’il ne s’était pas opposé à des politiques d’austérité impopulaires, rompit son alliance avec les deux partis au pouvoir. Le gouvernement tomba, et la popularité de Wilders chuta également, au moins pendant une courte période. Le PVV passa de 24 à 15 sièges en 2012.

Les habitants profèrent des insultes racistes
Les habitants profèrent des insultes racistes

Mais Wilders regagna sa popularité en renforçant ses discours anti-immigrés, anti-musulmans et anti-réfugiés, et en combinant le tout avec une rhétorique hostile envers l’Union européenne. Son langage devint de plus en plus cru. Il s’abaissa jusqu’à demander à ses partisans juste avant les élections municipales de 2014: “Alors, vous voulez davantage de Marocains ou moins de Marocains?” Et la foule lui répondit en criant: “Moins, moins, moins!” Cette manifestation de haine ouverte contre des personnes en raison de leur origine choqua beaucoup de Néerlandais, enclencha une mobilisation anti-raciste significative et provoqua même des dissensions au sein du PVV car certains de ses partisans pensaient que Wilders était allé un peu trop loin. Mais ce durcissement lui a probablement permis de consolider une base de soutien inconditionnel parmi les racistes. Et il a commencé alors à inciter ses partisans à descendre dans les rues et à occuper les places, afin de montrer leur soutien à sa politique en dehors des bureaux de vote et des réseaux sociaux.

Déjà, en septembre 2013, le PVV avait organisé un rassemblement anti-gouvernemental au moment du Prinsjesdag (Jour du prince, où l’on annonce officiellement le nouveau budget gouvernemental). Environ 1.400 personnes y participèrent. Parmi elles, de nombreux militants d’extrême droite et des différents groupes fascistes et néo-nazis. Wilders ne se démarqua absolument pas par rapport à ce type de soutien, aux saluts nazis, aux symboles fascistes que portaient certains manifestants. Il ne protesta pas non plus quand certains de ses partisans ce jour-là essayèrent d’attaquer les manifestants de gauche qui organisaient leur propre mobilisation contre le gouvernement et ses politiques de droite.

Un flic tire en l'air, essayant en vain de disperser la foule raciste dans Geldermalsen.
Un flic tire en l’air, essayant en vain de disperser la foule raciste dans Geldermalsen.

Les dimensions fascistes, et pas seulement parmi les nombreux partisans de Wilders, mais dans l’ensemble de ses méthodes, sont de plus en plus claires. Le PVV n’est pas simplement un parti électoral de droite. Il attise le racisme à l’extérieur des bureaux de vote. Il attaque les musulmans et les réfugiés. En même temps il combat toute force politique qui s’oppose à lui et qui soutient les réfugiés et les migrants, même les manifestants les plus doux, parce qu’ils font, selon lui, partie de “l’élite de gauche, multiculturaliste” qui doit être balayée. Attaquer, en employant un langage violent, les minorités ethniques, “l’Islam” donc les musulmans, la gauche et un “establishment” prétendument dominé par la gauche, toutes ces méthodes nous incitent à dresser un parallèle de plus en plus clair avec celles employées par d’autres forces fascistes d’hier et d’aujourd’hui.

D’autre part, la distance s’amenuise entre Wilders d’un côté, et d’autres forces de l’extrême droite européenne. En novembre 2013, Wilders a accueilli Marine Le Pen, la dirigeante du Front national français, à La Haye. A l’époque, les antifascistes qui contestaient ce rapprochement entre deux dirigeants fascistes ont été attaqués par des policiers anti-émeute.

Police essayer d'arrêter les manifestants de pénétrer dans le bâtiment du conseil à Geldermalsen.
Police essayer d’arrêter les manifestants de pénétrer dans le bâtiment du conseil à Geldermalsen.

Tous ces éléments font partie du contexte des événements qui ont commencé en 2015 et qui continuent en 2016. Le nombre de personnes atteignant les Pays-Bas, et fuyant, par exemple, les horreurs de la guerre en Syrie ou la répression de l’Etat policier érythréen, a augmenté au cours de l’été et l’automne 2015, et cela a provoqué des réactions diverses. On a d’abord assisté à une explosion d’empathie et de générosité, surtout après que la télévision a montré les images d’un enfant kurde syrien qui s’était noyé en tentant de traverser la Méditerranée et dont le corps s’était échoué en Turquie. Bientôt, cependant, l’atmosphère est redevenue très raciste. Wilders a annoncé sa campagne #KomInVerzet! (#Commençons-la-Résistance) qui appelait la population à s’opposer aux autorités locales qui voudraient ouvrir des centres de réfugiés ou des centres d’accueil pour les demandeurs d’asile. Certes, il recommandait, très discrètement, que cette résistance soit «pacifique», mais l’accent principal était mis sur la “résistance”, et celle-ci n’a pas du tout été pacifique.

A Oranje, un petit village où les autorités voulaient héberger temporairement un grand nombre de réfugiés, une foule en colère a bloqué un bus de réfugiés, et ne s’est calmée un peu que lorsque les manifestants se sont rendu compte que des enfants se trouvaient à l’intérieur du car. En outre, la voiture du vice-ministre co-responsable de la décision a été bloquée par l’un des manifestants. Dans la ville de Steenbergen la situation s’est révélée encore pire. Lors d’une audience publique convoquée par les autorités municipales, des gens ont insulté violemment, entre autres, une femme très courageuse qui a pris position en faveur des réfugiés. Une pierre avait déjà été lancée contre les fenêtres de sa maison, et elle avait été mise sous protection policière après cet incident. Non seulement, les cris de haine proférés contre elle avaient une tonalité raciste, mais elle a été explicitement menacée de viol par les manifestants.

La violence a atteint un niveau encore supérieur à Geldermalsen, le 16 décembre 2015. Ce jour-là, la municipalité devait voter la décision de construire un logement pour accueillir 1.400 demandeurs d’asile dans la commune. Rapidement, les opposants ont accroché un peu partout des banderoles dans la ville pour s’opposer à cette décision. Une des banderoles avait eté confectionnée par Identitair Verzet (Résistance identitaire), petit groupe fasciste d’origine récente et très actif dans le mobilisations anti-réfugiés.

Le texte trouvé dans Pannerden
Le texte trouvé dans Pannerden

Dans la soirée du 16 décembre 2015, le conseil municipal de Geldermalsen s’est réuni pour débattre avec les habitants de la ville. Dans le même temps, une foule de plusieurs centaines de personnes s’est rassemblée pour protester contre l’ouverture d’un centre de demandeurs d’asile. Les estimations varient de plusieurs centaines à 2.000 manifestants. Un groupe important – plusieurs dizaines de personnes, peut-être une centaine ou plus – a attaqué les clôtures placées autour de l’hôtel de ville, jeté des feux d’artifice bruyants et des pierres contre le bâtiment. Les racistes se sont battus avec les policiers anti-émeute. Quatorze personnes ont été arrêtées. C’étaient des habitants de Geldermalsen et des villes et villages alentour. Le racisme qui a explosé dans les rues de Geldermalsen ne se limite pas aux actions de quelques fascistes venus de loin, il a racisme a une base locale et les fascistes sont en train de construire sur cette base: à la fois à Steenbergen et à Geldermalsen, la présence de militants de la NVU (Nationale Volksunie, Union nationale populaire) a été remarquée. La NVU est une organisation ouvertement néo-nazie qui sévit depuis les années 1970. Son dirigeant se vante désormais ouvertement du fait que ses militants participent activement aux mobilisations contre l’ouverture de centres d’accueil pour les réfugiés.

Wilders a continué à s’opposer à la création de nouveaux centres avant, pendant et après les événements de Geldermalsen ou d’ailleurs. Il refuse de condamner la violence de ceux qui sont, en réalité, ses partisans. Et dans les deux cas, à Geldermalsen et à Steenbergen, les autorités municipales ont revu à la baisse leur projet de loger des réfugiés, soit en aménageant un centre beaucoup plus petit, soit en reportant toute discussion à ce sujet pour le moment. La pression raciste a clairement contribué à ces résultats catastrophiques et Wilders a toutes les raisons d’être satisfait.

Fascistes du groupe Riposte identitaire
Fascistes du groupe Riposte identitaire

L’image se précise au fil du temps. L’agitation raciste par en haut, à travers les discours de Wilders, interagit avec les actions de rue racistes. Certes, cette interaction est informelle, mais évidente. L’ensemble du phénomène dévoile ce qui était jusque-là plus ou moins caché : une forme de fascisme à ses débuts. La présence visible des fascistes de Riposte Identitaire (Identitair Verzet) et de la NVU est seulement un symptôme d’un problème plus profond. Le tableau d’ensemble montre quel genre de vent mauvais souffle ces jours-ci.

Et ce sont des jours assez effrayants. On a assisté à un certain nombre d’attaques violentes contre des réfugiés eux-mêmes, contre des communautés de migrants et les bâtiments où ils logent. Le 9 octobre, un groupe d’environ vingt personnes masquées a attaqué un centre d’accueil temporaire de réfugiés à Woerden en lançant des œufs et des feux d’artifice très bruyants. Le 17 décembre, à Pannerden ils ont attaqué une maison où vivait une famille d’origine immigrée avec des enfants. Encore une fois, ils ont utilisé des feux d’artifice très bruyants, qui ont un effet effrayant. Les agresseurs ont laissé un mot avec une photo de Geert Wilders, et un texte indiquant entre autres: “Ce n’est que le début”. Le 19 décembre, des membres de Riposte identitaire (Identitair Verzet) ont attaqué une mosquée à Dordrecht. Une des bannières proclamait: “Minder, Minder” (“Moins, moins”) – allusion transparente au discours de Wilders prononcé juste avant les élections municipales de 2014, comme nous l’avons expliqué plus haut.

L’interaction entre l’extension du racisme populaire, les actions des groupes fascistes, et les incitations à la haine de Wilders se renforce. Tout cela indique qu’une vague fasciste monte aux Pays-Bas. Pegida, organisation d’extrême droite qui se fait passer pour un groupe respectable de “citoyens concernés” et inquiets de la progression de l’ “Islam”, a tenté d’organiser des marches à Utrecht et Rotterdam, et leurs démarches font partie de cette vague fasciste. Heureusement, ces efforts ont été contrés de façon relativement efficace par les antifascistes, avec le slogan “Laat Ze Niet Lopen” (“Ne les laissons pas défiler”). Quatre fois, les racistes ont essayé de défiler, avec environ 150 personnes lors de leur plus grosse mobilisation. A chaque fois, des dizaines, voire des centaines, d’antifascistes ont organisé des contre-manifestations, crié des slogans à leur passage, essayé de les bloquer, etc.

D’importantes forces de police ont assuré l’ “ordre”, c’est-à-dire qu’elles ont empêché les antifascistes d’affronter ces manifestations racistes, mais d’un autre côté les nazis n’ont pu exercer la violence contre leurs adversaires comme ils le souhaitaient. La “neutralité” de la police est une blague, et il est ridicule d’affirmer qu’il faudrait protéger les manifestations fascistes “légitimes”. Cependant, la conception du “maintien de l’ordre” que défend la police se heurte parfois aux ambitions des fascistes. Cela pourrait changer si le fascisme devenait plus puissant, mieux organisé, acquérait davantage de légitimité aux yeux des autorités. Cette dynamique rend la montée de Wilders et de son PVV encore plus dangereuse: ils peuvent donner au fascisme exactement la façade de légitimité qui manque aux groupes ouvertement nazis et aux organisations-paravents comme Pegida.

Affiche de Pegida appelant à préserver la tradition néerlandaise raciste de «Zwarte Piet»
Affiche de Pegida appelant à préserver la tradition néerlandaise raciste de «Zwarte Piet»

Il est à craindre que l’année 2016 verra ces tendances se maintenir. Pegida a déjà annoncé deux initiatives, l’une à Apeldoorn le 17 janvier 2016, et l’autre à Amsterdam le 6 février 2016. Et cette semaine, un nouvel abri temporaire pour les réfugiés doit ouvrir à Kaatsheuvel. Les opposants ont déjà suspendu des banderoles hostiles, comme à Geldermalsen. L’attitude des autorités est particulièrement écœurante à l’égard des enfants qui passent en bicyclette devant ce centre pour se rendre dans une école réservée aux élèves ayant des besoins spéciaux. Des bénévoles accompagneront les enfants, pour rassurer les parents qui semblent préoccupés par le “risque” posé par ces réfugiés pour leur progéniture vulnérable. De cette façon, l’idée que les réfugiés seraient dangereux bénéficie, encore une fois, de la “compréhension” des autorités, et donc se renforce dans l’opinion publique. De cette façon, le racisme obtient une reconnaissance officielle, et il n’est pas question pour nous de rester sans réagir, c’est le moins qu’on puisse dire.

Y a-t-il une riposte face à cette vague de racisme? Elle se met lentement en place, comme l’ont déjà montré les actions contre Pegida. Des manifestations encourageantes de solidarité avec les réfugiés ont été organisées à La Haye, le 1er novembre 2015, à Nimègue, le 21 novembre 2015. Toutes deux ont attiré plusieurs centaines de manifestants, y compris des réfugiés, et elles avaient un caractère à la fois militant et parfois presque festif. Ces deux manifestations soulignent la possibilité de repousser la vague fasciste et en même temps de construire des liens de solidarité entre les gens de différents milieux et origines – des liens de solidarité qui sont de la plus haute importance.

Peter Storm
(blogueur sur les sites Ravotr, Libcom, Doorbraak et quelques autres)

Note:
1. Note d’Eric Krebbers suite à une demande de précision: “Ces centres sont en principe situés dans des bâtiments en dur (bureaux vides, gymnases, camps de vacances, etc.) utilisés temporairement, sauf à Nimègue, où 3.000 réfugiés sont ‘logés’ dans des tentes. L’Etat néerlandais pousse les petites villes à accepter de loger beaucoup de réfugiés (plus elles sont petites, plus il insiste pour qu’elle en accepte), comme s’il voulait que les habitants protestent contre leur présence. Durant la dernière décennie, l’Etat a fermé de nombreux centres d’accueil, et la pénurie actuelle de lieux est dû à ces décisions et pas au nombre de réfugiés. Dans les années 90, il y avait beaucoup plus de réfugiés qu’aujourd’hui (et il y avait de la place pour eux à l’époque). Les protestations actuelles fournissent des arguments au gouvernement pour durcir sa politique contre les réfugiés, “parce que les gens ne veulent pas en accepter plus”. En ce sens, la campagne de Wilders est très utile pour l’Etat néerlandais. Le problème pour l’Etat est: comment obtenir des racistes qu’ils se calment et arrêtent leurs manifestations quand celles-ci ne sont plus nécessaires et que sa politique change (ce qu’il est en train de faire maintenant). Il est peu probable que Wilders et ses partisans acceptent de rentrer dans le rang et ils risquent plutôt d’étendre leur mouvement encore davantage.”