Pays-Bas: aucun argument ne nous fera jamais accepter le “travail forcé”!
Depuis quelque temps, les militants du groupe Doorbraak luttent à Leiden contre les tentatives d’imposer le travail forcé aux “bénéficiaires” des allocations chômage. Cette politique du travail forcé s’applique exclusivement aux personnes qui reçoivent de l’argent de l’État. Aux Pays-Bas, lorsque vous perdez votre emploi, tout d’abord, vous percevez pendant quelques mois environ 70 % de votre revenu antérieur, selon la durée de votre dernier emploi (c’est ce qu’on appelle le “WW”). Ensuite vous touchez le “Bijstand”, c’est-à-dire une somme ridicule. Dans de plus en plus de villes, les «chômeurs» sont obligés de travailler pour leur “Bijstand”. Le gouvernement prévoit également d’intégrer dans ce dispositif toutes les personnes qui sont (en partie) dans l’incapacité de travailler. Cette mesure devait être appliquée cette année, mais elle a été reportée à cause des élections.
Le texte original en néerlandais (3 janvier 2012) Traduit par Joel Trepp pour Ni patrie ni frontières |
Cet article tente de répondre aux arguments les plus souvent avancés par les défenseurs du travail forcé pour les “chômeurs”.
1. Il faut que tout le monde travaille pour gagner sa vie, pourquoi les allocataires constitueraient-ils une exception?
Les allocataires ne perçoivent pas le Smic pour le travail qui leur est imposé et n’ont pas de contrat lié à une convention collective. Qui plus est, le Code du travail s’applique aux autres travailleurs, mais pas à eux. Enfin, ils ne peuvent pas choisir le travail qu’ils font, ce qui est un droit fondamental.
2. Ne s’agit-il pas de travaux socialement utiles, qui ne seraient pas effectués autrement?
Si la société considère vraiment que ces travaux sont aussi importants, pourquoi ne pas libérer l’argent nécessaire pour les rémunérer convenablement? Au lieu de forcer les allocataires à travailler gratuitement, forçons plutôt le gouvernement à trouver l’argent pour leur payer un salaire normal.
3. Mais nous n’avons pas le choix : l’argent nous manque à cause de la crise.
Pas du tout, il y a suffisamment d’argent aux Pays-Bas. Voir également notre campagne “Waar zit het?” (Où se trouve-t-elle ([la richesse]?). Depuis la fin des années 70, tous les gouvernements successifs se sont appliqués à redistribuer les richesses du bas vers le haut. Autrement dit, ils rendent les riches plus riches et les pauvres plus pauvres.
4. Mais c’est une politique décidée à l’échelle nationale, la municipalité n’y peut rien. Elle ne reçoit pas assez d’argent de l’Etat.
Il est vrai que la municipalité reçoit moins d’argent. Mais cela ne veut pas dire qu’il soit nécessaire d’imposer le travail forcé. C’est un choix politique local. Ce choix est motivé par trois besoins :
a) Le besoin de discipliner les allocataires, de s’assurer qu’ils soient dociles et qu’ils le restent.
b) Le besoin de rendre la vie des “bénéficiaires” si désagréable que ceux-ci soient contraints de fuir leur situation.
c) Le besoin de décourager ceux qui font des boulots de merde de lutter pour un meilleur salaire et de meilleures conditions de travail en jouant sur la peur du chômage et la peur du travail forcé qui va avec. Si la lutte se termine par un échec, les travailleurs risquent de se retrouver réduits au travail forcé. Ainsi, la municipalité vise à créer un “bon climat d’investissement” dans la ville pour les entreprises.
5. Mais ce travail est également dans l’intérêt des bénéficiaires, puisque leurs chances sur le marché du travail s’améliorent suite à l’expérience gagnée.
La plupart des travaux que les allocataires sont forcés de faire ne contribuent pas à améliorer leur position sur le marché du travail. Il s’agit souvent de tâches qui ont disparu du marché du travail après des suppressions de postes. Bref : les emplois pour lesquels ils accumulent de l’expérience aujourd’hui n’existent quasiment plus. Il s’agit plutôt d’une tentative de l’Etat de faire exécuter le même travail sans être obligé de payer les salaires qu’il devait payer dans le passé. Mais il existe aussi des travaux complètement vides de sens, qui n’apportent aucune expérience utile, et qui ne servent qu’à discipliner les allocataires.
6. Certaines personnes ont besoin d’un tel “coup de pouce” . Peut-être qu’elles ne seront pas enthousiastes tout de suite, mais plus tard, elles reconnaîtront que cela leur aura été utile.
Il s’agit d’un point de vue paternaliste. La plupart des individus veulent bien travailler, mais à condition que leur salaire soit décent, et qu’ils jouissent de bonnes conditions de travail et d’une convention collective. La partie du marché du travail vers lequel on dirige les allocataires ne compte presque pas d’emplois de ce type. Inversons la formule : Mettons sous pression les politiciens, les municipalités, les administrations concernées et les entreprises qui en profitent. Nous donnerons un gentil coup de pouce à tous ceux qui sont responsables de l’introduction du travail forcé aux Pays-Bas. Peut-être qu’ils ne seront pas enthousiastes tout de suite, mais plus tard, ils avoueront que cela leur aura été utile.
7. Ne méprisez pas les tâches qu’on donne aux allocataires.
Nous ne méprisons absolument pas le travail socialement utile. Mais il ne s’agit pas ici de mépriser le travail en tant que tel : nous critiquons les salaires trop bas, qui sont même en dessous du minimum légal. Et nous nous opposons à ce dispositif – non régulé par le Code du travail – dans lequel s’inscrivent ces emplois.
8. Pour les allocataires, c’est tout de même mieux que rester chez soi à rien faire.
Beaucoup de chômeurs ont assez à faire durant la journée, et ce même sans travail rémunéré. Pourquoi croit-on qu’il soit normal de forcer les personnes qui ne peuvent pas trouver un emploi à faire tout et n’importe quoi? Finissons-en avec toute forme de mise au pas des allocataires. D’ailleurs, nous nous opposons aussi à cette glorification de la “valeur travail” qu’on rencontre partout.
9. Il est quand même normal que les allocataires travaillent en échange des prestations qu’ils reçoivent.
Comme tout le monde, les allocataires veulent contribuer à la société et faire un travail utile. Et comme tout le monde, ils ont droit à un revenu avec lequel ils pourront vivre convenablement.
10. Les allocataires ne doivent pas se plaindre, cela ne dure que quelques mois.
Chaque minute durant laquelle une personne travaille en dessous du salaire minimum légal est une minute de trop. Car cela affaiblit le Code du travail pour tous les salariés. Le mouvement ouvrier a lutté pour obtenir ces droits dans le passé. Maintenant, il faut de nouveau lutter pour reconquérir nos droits. En réalité, la durée du travail forcé peut s’allonger jusqu’à deux ans ou plus.
11. Mais certains allocataires aiment leur travail, et ils sont contents que la municipalité leur donne cette chance.
Certaines personnes réagissent de cette façon, car faire un travail utile peut leur procurer une certaine satisfaction. Mais nous sommes sûrs qu’elles seront encore plus contentes si elles touchent au moins le salaire minimum et ont un contrat relié à une convention collective.
12. Il faut remercier les entreprises qui accueillent les allocataires, car elles prennent des risques. Elles créent des emplois pour des personnes qui n’auront probablement pas tout de suite les compétences requises pour leur poste.
Mais non, c’est de l’exploitation pure et simple!Avoir une main d’œuvre qui n’est pas régie par le Code du travail, que peut souhaiter de mieux un patron? On fait souvent appel aux allocataires pour les travaux les plus stupides, les plus abrutissants, où ils n’apprennent rien, et où, passé les premières minutes, ils n’acquièrent plus aucune expérience. Les entreprises sont en position de force, car elles peuvent désormais remplacer un travailleur forcé par un autre. Bientôt, elles n’auront presque plus besoin de créer des emplois normaux.
13. Les travailleurs sociaux qui suivent les allocataires sont des individus de bonne volonté, il n’y a aucune raison de s’inquiéter.
Il s’agit pour nous de critiquer la politique qu’ils doivent exécuter, pas d’analyser leurs qualités ou leurs défauts personnels qui n’ont aucune importance, surtout pour les allocataires soumis au travail forcé par ces mêmes travailleurs sociaux. L’ambiance et le fonctionnement interne du ministère des Affaires sociales sont très compétitifs. Les travailleurs sociaux sont évalués en fonction du nombre d’allocataires dont ils ont arrêté les prestations ou qu’ils ont mis au travail forcé. Et il est certain que cela influence l’attitude des travailleurs sociaux face aux allocataires.
14. Il ne faut pas parler de “travail forcé”, c’est une expression trop violente. Ça fait penser aux nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, ce n’est pas aussi néfaste.
L’expression ” travail forcé” ne se réfère pas forcément aux camps de concentration. Les nazis ont aussi imposé le travail forcé à des millions d’autres personnes, dont plus de 400 000 Néerlandais. Beaucoup d’autres régimes dans le monde ont pratiqué et pratiquent encore le travail forcé. C’est un phénomène qu’on rencontre assez souvent, et maintenant ça revient aux Pays-Bas. Selon l’article 4 de la Convention européenne des droits de l’homme, signée par les Pays-Bas, on peut parler de travail forcé si quelqu’un est mis au travail contre son gré, sous la menace d’une sanction. Les allocataires sont menacés d’une réduction de leurs allocations ou de leur arrêt total, ce qui représente une attaque directe contre leurs conditions de vie.
15. Mais tout de même cette politique a été décidée de façon démocratique.
Le fait qu’une majorité au parlement néerlandais mais aussi au conseil municipal de Leiden soutienne ces mesures ne signifie pas, bien sûr,que nous devions automatiquement être d’accord avec ces décisions, ou même les accepter. Il s’agit de nos vies, de notre existence, et de celles de toutes les autres personnes qui pourraient devenir chômeurs et chômeuses et être soumises au régime de travail forcé. Nous avons le droit et le devoir de nous opposer à cette politique.
16. Mais finalement, cette mesure n’est pas si grave, car les partis de gauche comme le SP (extrême gauche, ex-maoistes) et le PvdA (travaillistes) à Leiden, et GroenLinks (Verts/Gauche) à Amsterdam soutiennent souvent ces mesures. Et apparemment, le syndicat trouve que travailler pendant six mois sans contrat de travail est acceptable.
C’est vrai que les partis de gauche et les syndicats ont souvent tendance à soutenir des politiques de droite pour ensuite tenter de nous convaincre de leur bien-fondé. Les protestations contre ces mesures devront donc s’organiser surtout en dehors du parlement, avec un soutien local parmi quelques militants des partis de gauche.
17. A Leiden, les partis de gauche ont tout de même obtenu que les allocataires ne travaillent que 24 heures par semaine. Avec leur allocation en plus, ils touchent exactement le smic. Problème résolu.
C’est faux, ils n’ont pas de contrat relié à une convention collective, et, en cas de conflit de travail, la menace de la réduction des allocations pèse toujours sur eux comme une épée de Damoclès. A Leiden comme ailleurs, les allocataires dépendent régime du ministère des Affaires sociales, et sont privés des dispositions normales du code du travail.
18. Vous, les gauchistes, vous ne voulez tout simplement pas travailler.
Les militants travaillent avec passion et de façon bénévole pour un monde meilleur pour tous. C’est un travail très utile! Et c’est une activité beaucoup plus humaniste que de concevoir, appliquer, gérer le travail forcé des autres et en profiter. Par ailleurs, la plupart des personnes qui participent à nos actions ont un emploi salarié. Ce qui ne veut pas dire, pour autant, qu’elles en sont satisfaites, car il existe beaucoup de boulots de merde mal payés aux Pays-Bas.
19. C’est très bien que vous faites des critiques. Par la suite, nous serons encore plus vigilants pour éviter tout excès, comme le travail forcé.
Pour nous, il ne s’agit pas seulement d’éliminer quelques “excès”. Le projet du travail forcé dans sa totalité est mauvais et doit disparaître tout de suite. Il est inacceptable, dans son principe même.
Eric Krebbers