Campements de demandeurs d’asile aux Pays-Bas: une (é)preuve de force!
En septembre 2012, un certain nombre de déboutés du droit d’asile ont commencé à installer des campements à La Haye et à Amsterdam. Depuis un an, ils mènent une lutte acharnée contre les politiques brutales de rejet et d’exclusion menées par le gouvernement. Pendant des jours et parfois des semaines, les demandeurs d’asile ont campé et subi le froid, la pluie et le vent devant le siège d’organisations comme le Centre d’enregistrement et d’expulsion Ter Apel et les bureaux de l’IND (Service d’immigration et de naturalisation) à Zwolle et à Den Bosch (1) . Contester la politique gouvernementale dans la rue est une stratégie de combat extrêmement courageuse et non un acte de désespoir.
Le texte original en néerlandais (10 décembre 2012) Traduit en Français par Yves Coleman pour Ni patrie ni frontières. |
Grâce à leurs tentes, les demandeurs d’asile ont rendu douloureusement visible leur lutte quotidienne pour la survie. Ils ont transformé leur problème individuel en un enjeu collectif, et leur lutte individuelle est devenue une bataille collective. Les campements militants ne sont pas un signe d’impuissance: ils reflètent la force, le courage et la persévérance des participants à l’action. Il ne suffit pas de se battre en organisant des manifestations et des réunions, non, nous avons d’autres armes: la vie quotidienne des demandeurs d’asile est la principale. Les campements ne sont pas simplement des endroits où s’organisent des actions de protestation, ces lieux eux-mêmes incarnent et concrétisent la protestation. En plaçant leur propre corps dans l’arène politique, les demandeurs d’asile indiquent clairement qu’ils ne veulent plus être exclus de la société, qu’ils désirent pouvoir reconstruire leur existence et vivre une existence digne. C’est pourquoi ils demandent la régularisation et l’attribution d’un logement décent.
Dans ces deux villes néerlandaises, chaque campement a été confronté à un maire ayant recours à des méthodes différentes. Aucun de ces élus, bien sûr, n’a défendu ni ne défendra les intérêts des demandeurs d’asile.
Dès le début de l’installation du campement qui a pris le nom de “Droit à l’existence”, Jozias van Aartsen, le maire de La Haye, a clairement fait savoir qu’il ne se préoccuperait pas du sort des demandeurs d’asile. Il a interdit aux organisations humanitaires d’offrir leur aide à ceux qui dormaient dans les tentes, et la municipalité n’a fourni aucune installation. Les demandeurs d’asile ont dû solliciter l’autorisation du tribunal pour pouvoir passer la nuit dans leur campement, mais aussi pour garder les tentes partiellement fermées, ce qui était absolument nécessaire étant donné le vent glacé qui soufflait cet automne. Van Aartsen s’est refusé même à approcher du campement et a dénigré les demandeurs d’asile et leurs soutiens au sein du conseil municipal et dans la presse. Il a également restreint le droit de manifester. La police effectue régulièrement des contrôles. Seul le Haagse Stadspartij (Parti de La Haye, (2)) a posé des questions durant les séances du conseil municipal concernant l’action répressive menée par le maire qui appartient au VVD (Parti libéral conservateur). Les autres partis représentés au Parlement ont gardé le silence.
Amsterdam
Les conseillers municipaux de tous les partis politiques et des soutiens appartenant à diverses couches de la société ont plaidé pour une “asile digne”, juste après l’installation du campement de protestation “Nous sommes ici”. Mais le débat politique s’est rapidement centré autour de l’exigence de la régularisation des demandeurs d’asile et des migrants sans papiers qui vivent au jour le jour dans des conditions inhumaines. Certains soutiens considéraient ce campement comme une tragédie humanitaire et non comme une manifestation militante. Il était fort commode pour le maire d’Amsterdam Eberhard van der Laan que les soutiens du campement eux-mêmes tirent la sonnette d’alarme. Contrairement à son collègue de La Haye, ce membre du PvdA (le Parti social-démocrate) a rendu visite à plusieurs reprises aux “campeurs”, et il a exprimé ses “inquiétudes” dans une lettre au conseil municipal. Dans ce courrier, il annonçait que le campement devait être évacué parce que la “santé physique et mentale” des demandeurs d’asile était, paraît-il, menacée. Rusé, le maire leur a offert de les aider financièrement et de les héberger pendant 30 jours “pour qu’ils reprennent leur souffle”, ce qui a bien sûr semé le trouble chez les soutiens. De toute évidence, une telle mesure visait à obliger les demandeurs d’asile à démonter leurs tentes. Ils ne se sont pas laissés abuser par cette manœuvre. Les demandeurs d’asile refusent d’être dispersés: à leurs yeux un refuge temporaire n’est pas une solution, parce qu’ils savent qu’ensuite ils seront de nouveau jetés à la rue. Les autorités préfèrent qu’ils soient livrés à eux-mêmes dans la rue. Van der Laan a montré alors son vrai visage malveillant: il a fait évacuer le campement et arrêter plus d’une centaine de demandeurs d’asile, et le même soir, la majorité d’entre eux se sont retrouvés à nouveau à la rue, sans abri, sans tentes, sans couvertures. Certains citoyens engagés d’Amsterdam et d’autres militants ont proposé leur aide, et les demandeurs d’asile continuent leur action de protestation en squattant une église pour résister aux rigueurs de l’hiver.
À cette occasion, le VVD a montré sa face répressive et le PvdA sa face sournoise, offrant ainsi une image assez exacte des partis politiques nationaux. Le PvdA, social-démocrate, est le parti qui a fourni le plus de ministres de l’Immigration au cours des dernières années, et on peut, à juste titre, le considérer comme l’architecte de cette politique brutale de rejet et d’exclusion. La politique consistant à offrir un droit de séjour et une protection temporaires à des groupes de demandeurs d’asile provenant de pays frappés par la guerre a été abolie par le dernier ministre socialiste chargé de la gestion des migrations: le secrétaire d’Etat Nebahat Albayrak. Parmi les victimes de cette mesure de suppression, on compte les Somaliens qui constituent la majorité des habitants du campement d’Amsterdam. La plus haute cour néerlandaise a interdit leur expulsion, mais l’Etat refuse de les régulariser.
Madame “La Gêne” (3)
Actuellement, le très agressif Fred Teeven occupe le poste de ministre de la Sécurité et de la Justice. Dans le deuxième gouvernement Rutte formé le 5 novembre 2012, l’immigration n’est plus un portefeuille distinct. Les demandeurs d’asile et les migrants relèvent désormais du ministère de la Justice, ce qui signifie qu’ils sont criminalisés, avant même que l’illégalité de leur présence soit officiellement constatée. Freddie-le-Bagarreur ne veut pas céder d’un millimètre face aux revendications des demandeurs d’asile. Il n’est prêt à leur offrir un abri rudimentaire et temporaire que si les demandeurs d’asile acceptent de retourner dans leur pays où sévissent la pauvreté et de la violence. Il ne veut même pas discuter de leur droit à être régularisés. De plus, les demandeurs d’asile ne peuvent attendre aucune aide de la gauche parlementaire: la députée Sharon Gesthuizen, alias “Madame La Gêne”, membre du SP (extrême gauche, ex-maoiste), a présenté une motion insipide dans laquelle elle appelle à ne soutenir que les demandeurs d’asile qui acceptent d’être rapatriés. L’ancien ministre de l’Immigration Gerd Leers (membre du CdA, parti démocrate-chrétien, dit de “centre droit”, NdT) avait également fait une telle offre dans le passé.
Même si l’attitude des parlementaires est lamentable, la force des demandeurs d’asile est une source d’inspiration. Après avoir vécu pendant des semaines dans le froid et dans la boue, sans toilettes ni douches, ils continuent à mener ce combat difficile sans perdre leur conviction. Lorsqu’ils reçoivent une lettre du Service de rapatriement à propos de leur départ “volontaire”, ils la déchirent immédiatement ; quand le ministre de la Justice Teeven leur a “tendu la main” pour les “aider” à retourner au pays, ils ont résolument rejeté sa proposition ; ils ont dédaigné la proposition-piège du maire d’Amsterdam Van der Laan de leur fournir un logement temporaire, et bien que leurs tentes (4) ne soient pas totalement fermées ils défient la répression de Van Artsen, le maire de La Haye. Ce n’est pas à nous de décider à la place des demandeurs d’asile. Ils doivent jouer un rôle central dans leur propre lutte. Nous devons les soutenir, montrer notre solidarité et soutenir leurs revendications pour une régularisation et un logement immédiats !
Mariët van Bommel
Notes
1. Zwolle se situe à 80 km au nord-est d’Amsterdam ; Den Bosch à 77 km au sud d’Amsterdam, dans le Nord-Brabant (NdT).
2. Petit parti issu du mouvement des squatters. Même s’il n’est plus très radical, il essaie de se faire l’écho des protestations populaires locales (NdT).
3. Cette députée d’ “extrême gauche” s’est distinguée en dénonçant “la gêne” occasionnée par les demandeurs d’asile et leur mouvement. C’est pourtant l’Etat qui met les sans papiers dans des situations incommodes. Ceux-ci ne causent aucune gêne, ils la subissent puisqu’elle leur est imposée par l’Etat (NdT).
4. Depuis que cet article a été écrit, à Amsterdam comme à La Haye, les demandeurs d’asile ont dû démonter leurs tentes, et ils se sont repliés dans des églises qu’ils occupent ou dont ils risquent d’être à leur tour expulsés (NdT).